« Ce que la bombe a fait voler en éclat, c’est l’humanité. Nous valons moins que les zombies. »

PENINSULA, Yeon Sang-ho’s TRAIN TO BUSAN Follow-Up Gets A ...
Affiche de Peninsula (détail), suite de Dernier train pour Busan, films de Yeon Sangho

Voilà un livre qui m’a tout de suite attirée, quand bien même il est à l’opposé de ce que je lis, bien que je n’ai pas de préférences bien définies. Les histoires de zombies, j’en ai vues, oui, mais lues.. Je ne crois pas. Cette mutation tant crainte est davantage propre aux Etats-Unis qui usent les ficelles narratives avec une surexploitation. Trouver des zombies dans le Seoul, zone interdite (je ne mettrai pas d’accents pour respecter la prononciation coréenne, le « seo » se rapproche du « so » dans « solstice », et ensuite vous rajouter « oul ». Mais pas sé, par pitié, c’est aussi violent que de ne pas rouler les r en japonais et coréen.) de Jung Myeongseop m’a d’abord amusée, et vous comprendrez je pense que le résumé a une potentielle portée politique intéressante.


Séoul zone interdite - JUNG Myeong-seop - Fiche livre ...

Avril 2021. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un ne parvient plus à contenir les émeutes de la faim, prélude à un renversement du régime. L’armée chinoise est appelée en renfort par le gouvernement nord-coréen. Mais la population engage la résistance, et la tension monte dans la péninsule. Le 4 avril, un missile nucléaire nord-coréen frappe Séoul. Plusieurs millions de morts, dont les membres du gouvernement. Mais ce n’est que le début du cauchemar. Quelques heures après l’explosion atomique, les morts se relèvent, assoiffés de sang. Des hordes de zombies se jettent sur les survivants : il faut évacuer la capitale. Désormais, la ville de Séoul est fermée et déclarée  » zone interdite « . Au fil du temps, un commerce d’un genre particulier s’organise. Des groupes de mercenaires lourdement armés pénètrent dans la zone interdite à la demande de personnes désireuses de récupérer des objets qu’elles ont dû laisser derrière elles. Un service qui se négocie à prix d’or. Un jour, au cours d’une mission, l’un de ces  » chasseurs de trésor  » découvre l’existence d’une organisation secrète préparant un coup d’État..


Ca m’étonne d’écrire ce qui suit, mais bien qu’il passe en lecture sans être exceptionnel, du style « ça se lit mais sans plus », je le verrai bien mieux adapté au cinéma. Pas parce que les zombies se prêtent à l’écran, mais que les actions et les situations haletantes dans lesquelles se trouve le protagoniste seraient bien mieux rendues. C’est une question de rythme, de tension, de doutes aussi — Hyunjun est LE personnage principal, on cherche à en insérer un second mais voilà, son nom l’indique, il reste secondaire, donc on sait que malgré les moments critiques, notre (anti)-héros va rester en vie. Comment en douter quand on a plus de cent pages restantes par exemple ?
C’est vers les pages 160 (pour un total de 218) que la véritable action s’enclenche, et à mesure, avec une avalanche de péripéties, on commence à craindre pour sa vie. J’avoue en être venue à me dire qu’il était un peu trop chanceux pour que ça dure, j’aurais aimé ressentir des doutes plus tôt dans l’histoire, sentir le danger en somme. A compter d’une bonne réalisation bien entendu, je pense qu’à l’écran, ce serait plus happant. Surtout que la trame, je la trouve intéressante, on peut peut-être y retrouver du Labyrinthe (je n’ai vu que le film et pas lu l’oeuvre de James Dashner) qui serait ici la Zone interdite, les griffeurs seraient les zombies, les blessures qui rendent malades seraient les morsures qui transforment en zombie.. le tout sans que ce soit du plagiat. Les chasseurs de trésors, ce n’est peut-être pas nouveau, mais ça fait bien son job, surtout que c’est l’apport sentimental et humain, puisqu’il s’agit de ramener les objets précieux des rescapés, dans une oeuvre post-apo au protagoniste froid.

[…] les gens n’admettent pas leur fragilité […] ils font semblant que tout va bien pour dissimuler leur vulnérabilité, mais il s’effondrent sur eux-mêmes à mesure qu’ils découvrent qui ils sont vraiment. Ce subterfuge de la conscience n’amène qu’à l’autodestruction.

Car il faut dire ce qui est : Hyunjun est particulièrement agaçant. Ce n’est même pas du spoil parce que malheureusement, c’est flagrant, mais fort heureusement il est amené à évoluer. On a là une sorte de roman d’apprentissage express. Comment dire… Le personnage antipathique au possible dans un monde pareil, pour un rôle principal, on se doute que dans la plus grosse partie des cas c’est pour cacher une sensibilité, le coeur « dur » comme carapace. Et qu’au bout d’un moment, trame classique, se font quelques fissures pour dévoiler un caractère bien plus aimant et aimable. Alors je ne sais pas ce qui a été le plus ennuyant : ce cheminement vu et revu ou les scènes du faux badboy qui a tendance a amener ses collègues chasseurs de trésors au casse-pipe lors des expéditions et qui, lorsqu’il prend son bon temps au « club des tétins », bar dont les serveuses ne sont autre que des prostituées, en prend une par la main pour quelques mètres plus loin lui baisser sa jupe et faire son affaire. C’est le cliché du mec lourd qui plaque sa main au cul de la nana, et de l’autre côté, le cliché narratif. Choisissez votre camp.
Autant dire que les personnages ne sont pas la réussite de ce livre. Les autres sont des apparitions aux rôles plus ou moins essentiels pour servir l’histoire ; on a des figurants dont on apprend l’histoire car ce sont ceux qui demandent à récupérer des objets. On a une petite introspection du déroulement de l’accident il y a 8 ans, leurs situations personnelles depuis, etc. Pour les autres personnages plus importants pourtant, ce n’est pas toujours équivalent. Vous vous doutez : le seul un peu plus creusé — et encore, là aussi ! — est Hyunjun, grâce à quelques flashbacks. Ceux-là sont, à mon sens, assez mal apportés. On passe du PDV externe à interne sans crier gare, il n’y a pas toujours de séparation autre qu’un saut de ligne, ce qui, les premières fois, déstabilise mais d’une manière désagréable, j’ai presque eu l’impression que c’était une erreur de pronom ou quelque chose de ce genre. Ils sont insérés un peu au pif pour moi, autant vers la fin avec peut-être les deux derniers cela permet de mettre un peu plus de suspens, de retarder un peu l’action, autant au départ… Ca semble être mis au hasard, et justement, c’est ce qui trahit d’emblée que le personnage, un peu long à la détente quand même car c’est au bout de 8 ans que ces flashbacks arrivent, va évoluer de ce carcan de gros dur. Quand j’arrivais à un « je », j’étais d’avance lassée, notamment parce que c’était long, ça n’apporte pas grand chose au départ en étant un peu répétitif là aussi, — ce qui est déjà le cas avec les missions, en somme, ça reste pareil : écouter l’histoire de la personne, rentrer dans la zone interdite, craindre sa vie, revenir — enfin c’est son plongeons dans le Seoul zombifié d’une manière, sans surprise histoire attendue, rien de transcendant. Heureusement pour moi, il n’y en avait pas tant que ça, donc on peut facilement passer outre.

Ce monde-là n’existait plus. Il ne restait que des souvenirs, auxquels les gens s’accrochaient désespérément.

La touche vraiment particulière du livre de Jung Myeongseop, c’est la portée très actuelle avec la Corée du Nord, on peut vraiment faire une merveille autour de ça, et c’est dommage que ce soit autant recouvert par le pan aventure du livre. (oui, c’est moi, néophyte en politique, qui dit ça…)
Dans un an, ça fera dix ans déjà que Kim Jongun est aux commandes du Nord, de quoi faire bien plus peur que tous les zombies réunis… Et même si ce livre a été écrit en 2012, publié en France en 2018, et que l’action se place en 2022, comment ne pas avoir froid dans le dos quand on sait que la tension sous la dictature éclate à cause des émeutes de la faim alors qu’en juillet 2020, Kim Jongun a interdit les chiens domestiques pour qu’ils soient mangés, justement comme « palliatif » à cette pénurie qui touche 60% de la population ? Prétextant, lourd d’ego, qu’avoir un chien est propre à une « idéologie bourgeoise des occidentaux » pour cacher l’intérêt derrière cela ? Comment ne pas reconnaître le réalisme de toute cette situation quand début des années 2000 se menait une discussion pour transférer la capitale, ce qui a permis à l’auteur de penser à une Corée du Sud dont Seoul serait absente ? Et là, les propos de Minae, enfant survivante se trouvant sur l’île de Seonyu (une île sur la rivière Han), ont un lourd sens quand elle dit à deux reprise que Seoul est abandonnée, alors que beaucoup de sud coréens à l’époque étaient contre cette idée. Comment ne pas frissonner face à cette crainte qui règne depuis des années et qui en même temps fascine, celle de l’attaque nucléaire ? Cette idée subjugue dans le sens où on se demande si elle va vraiment avoir lieu ou non car celle-ci tient du romanesque tant elle tient en haleine (depuis 1994 tout de même, que ça plane cette idée, avec les États-Unis émettant la possibilité d’un bombardement pour stopper le programme nucléaire nord-coréen), avec ces menaces balancées à tout va mais la peur que cet enfant dictateur irresponsable les mettent à exécution. Il y a aussi le questionnement de comment les deux Corée s’en sortiraient, et plus encore le Monde. Et à savoir combien celui à la tête du Nord est tordu et répressif — une dictature, tout simplement — il ne serait même pas étonnant qu’il cherche à développer des composants permettant des mutations génétiques avec les émanation d’un missile lancé. C’est ça qui pour moi a fourni l’essentiel de mon intérêt et de mon effroi en lisant ce livre : savoir que ce qui jusque là m’a paru tellement fictif avec ce que nous sert les Etats-Unis à dose de Walking Dead par exemple semble si concret soudainement dans les mains de Kim Jongun. (bon, de Trump aussi, mais lui je doute qu’il aurait « l’intelligence » pour penser aussi loin. Not even sorry.) Jung Myeongseop rend ces 50km seulement séparant le Nord de la capitale du Sud encore plus fragiles qu’ils ne le sont déjà.
Je regrette que cette portée soit réduite au prologue et quelques maigres rappels dans l’histoire. L’auteur a préféré lui superposer un autre élément menant toute cette violence et qui, tout de même, amènera le point culminant du livre.

L’Affaire du 4 avril n’a pas conduit à une remise en cause de la société. Les choses se remettent en place à l’identique. Cette fois-ci encore, on va faire beaucoup de tapage autour du choix de la nouvelle capitale économique et politique, comme autrefois lorsqu’on a dû décider de la nouvelle capitale administrative. Toi et moi, nous sommes des monstres engendrés par ce monde.

Point rapide sur la traduction : j’ai lu une chronique disant ne rien lui reprocher, qu’elle était très fluide et idéale, puis une autre soulevant des problèmes grammaticaux et fautes de frappe, comme « regrdé ». Personnellement, en erreurs, j’ai noté celles-ci dont j’ai oublié la pagination : « pas envie de me séparer avec toi », « est-ce c’est bien là ». Additionner à cela les « !!! » que je prohibe en littérature, et des tournures de phrases qui m’ont parues lourdes… Pour m’être adonnée en cours aux versions en anglais et en espagnol où on doit traduire et ensuite adapter pour la lecture, j’ai parfois trouvé l’écriture très littérale, oubliant la seconde étape… Autre point, ça m’a beaucoup fait rire de lire « couteau antizombie », comment dire… C’est un couteau planté dans un crâne. Il n’a rien de plus spécial en fait, et là aussi, je me demande si ça n’est pas quelque chose de littéral, une traduction d’une particule grammaticale coréenne qui générerait ce « anti ». -peut-être quelque chose comme « contre » attaché à zombie, pour savoir qui est concerné par le couteau, tout simplement) Pour une rencontre avec les éditeurs Decrescenzo qui a priori sont spécialisés en littérature coréenne, ça me gêne un peu, mais à voir avec d’autres titres.

De manière plus vaste, de tels récits sont pour moi très visuels et finalement, assez peu propices à l’imagination car les lieux détruits sont nommés, leur spécificité ne me permet pas d’y plonger contrairement au lectorat coréen qui peu replacer les décors et surtout visualiser ce que pourrait être leur capitale si elle venait à être détruite, zombie ou pas. Pour nous, sauf si nous interrompons notre lecture pour aller chercher, les décors nous échappent, on y est moins familier. On peut visualiser à demi-mesure : des bâtiments gris et effondrés, ça, on peut faire. Mais quand on aborde l’île Seonyu, avec son café connu car il offre la meilleur vue sur la rivière Han… Là, tout de suite, nous n’y sommes pas, et nous ne pouvons pas ressentir ce que ça ferait de le savoir transformé en décombres. Et pour le coup, une fois n’est pas coutume, le cinéma permettrait l’écran essentiel à la visualisation du décor étranger pour nous.

Une sensation fort particulière en terminant ce livre donc, je ne vais pas vous le déconseiller ni le conseiller, mais j’appui là-dessus, je pense qu’il affirmerait ses qualités en adaptation. C’est maintenant à vous de vous faire votre propre avis !
Est-ce que ça vous est déjà arrivé, au passage, de penser que pour un fois, un livre serait mieux au cinéma ?

PROLONGATION
Train To Busan: il regista Yeon Sang-ho conferma il sequel ...

Comment ne pas conseiller Dernier train pour Busan, de Yeon Sangho ? Ca va de soi de prolonger avec ! J’avais trouvé que c’était un bon film personnellement, et puis il est déjà rentré dans la « culture populaire » du pays. En plus de ça, vous avez à l’affiche un excellent acteur, à savoir Gong Yoo. Pour attiser votre curiosité peut-être, il joue le mari dans l’adaptation de Kim Jiyoung, née en 1982 dont je vous ai déjà parlé. Il est aussi dans un de mes films préférés (probablement le numéro 1 dans la catégorie « je te fais chialer toute l’eau de ton corps et plus encore », un film TRES demandant psychologiquement) à savoir Silenced, que peut-être je re-visionnerai (ça fait un moment que ça me tanne de toute manière) pour vous le présenter durant ce challenge, et j’ai pu profiter de son jeu d’acteur dans le drama Big dont je garde un bon souvenir ! Bref, ne serait-ce que pour Gong Yoo, je vous le recommande à défaut du livre s’il ne vous tente pas !

Keul Madang — Wikipédia
logo de Keulmadang

Sur le site de la web-revue Keulmadang, qui est axée sur la littérature coréenne (mais pas que), vous disposez d’une interview de l’auteur ainsi que du retour du traducteur qui apporte des points culturels très intéressants.

9 réponses sur « « Ce que la bombe a fait voler en éclat, c’est l’humanité. Nous valons moins que les zombies. » »

  1. L'ourse bibliophile

    A te lire, on ressent bien le fait que ce livre serait peut-être mieux en film, quitte à en profiter pour rectifier un peu le tir côté perso.
    Le passage sur la portée politique et actuelle du récit était vraiment intéressant et c’est dommage si le livre ne le développe pas vraiment en réalité. Finalement, mieux vaut te lire toi que lui ! ^^
    Ahah, tu m’as fait rire avec le « couteau antizombie » ! Ça sonne un peu faux effectivement ! Je comprends ton agacement, c’est toujours frustrant.

    Beaucoup aimé Dernier train pour Busan aussi ! Même si je suis plus dubitative concernant la suite : à voir ce que ça va donner…

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    • La Récolteuse

      En effet, pour une fois j’apprécierais grandement qu’on retouche aux perso. Ca pourrait faire un bon truc, après va savoir, déjà le film qui fait parler de lui côté zombies en Corée en ce moment, c’est Alive. La bande annonce me laissait un peu perplexe, mais j’arrête pas d’en entendre parler.
      Haha, c’est gentil ! Après j’imagine que c’est toujours compliqué de trop s’engager sur cette question, aussi directement en plus.
      S’il avait décrit une arme bien précise, pourquoi pas lui donner ce nom, même si je le trouve un peu pourri mais déjà ça passerait bien.

      Idem pour Peninsula, j(espère que le teaser était juste nul et le film mieux, mais ce n’était pas très engageant je trouve. Et j’ai toujours cette difficulté, un premier avec de bons acteurs, un second avec de nouveaux… Ca aussi, je trouve ça frustrant.

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      • L'ourse bibliophile

        Ah oui, il est sur Netflix ! Je pense qu’on le regardera un soir où on n’a pas envie de se prendre le chou. Je te dirai comment c’était.
        Je n’ai pas vu le teaser de Peninsula (ça me saoule toujours, les bandes annonces), mais ça ne me rassure pas, ce que tu en dis…

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      • La Récolteuse

        Merci, je ne suis pas contre en effet de ce petit retour !
        Haha je comprends, des fois les topo des films sont tellement vagues que j’opte pour les bandes annonces, mais parfois c’est pas plus précis. Si ça se trouve pour toi ce sera un peu plus prometteur, je ne sais pas ; après je pense quand même tenter comme j’avais pas mal aimé Dernier train pour Busan, j’essaierai de ne pas comparer les deux au risque d’être déçue.

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